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Comment gérer un pervers narcissique quand on est RH ?


Arnaud OLIERIC

Consultant, Entrepreneur, Investisseur.

Site Entreprise : http://www.naturaledge.fr

Comprendre le Danger

Un pervers narcissique est un individu qui, de par sa construction d’identité, est malfaisant.
Et il y a plusieurs choses sont importantes à savoir quand on y fait face.

Il ne changera pas

Jamais. Oubliez.
Dans le monde des thérapies qui fonctionnent, on a un prérequis clé pour pouvoir aider les gens, c’est qu’ils décident du changement. Et même si vous pouvez croire le contraire, il ne le décidera jamais, car rien en ce monde ne peut l’y motiver. Ses seules motivations réelles sont l’exercice d’un pouvoir, si possible destructeur, sa satisfaction immédiate, et l’image qu’ils veut avoir. Tout le reste est factice. Etant donné que ce sont les motivations mécaniques de ses décisions et donc la base de son comportement, il ne peut mécaniquement pas vouloir changer. Cependant la plupart peuvent vous faire croire le contraire.

Il est conscient

Etant donné la construction de sa personnalité, vers l’âge de 10-12 ans maximum, il est devenu conscient de ce qu’il est.
Oh, il feindra à la perfection de ne pas avoir fait exprès, d’avoir des raisons, etc.

Il finira par tuer

S’il peut le faire en toute impunité, il s’en fera un plaisir, même si ce n'est pas forcément ce qu'il cherche directement.
Ce n’est pas une possibilité, c’est une certitude.
Il va essayer toute sa vie de nuire. Il va apprendre, devenir plus efficace. Oh, ce ne sera pas forcément dans le cadre de l'entreprise, mais nous ne sommes pas là pour compter sur la chance.

Bien que vous le nierez sans doute à l’extérieur, votre entreprise n’a pas de bouclier divin, et surtout pas les autres collaborateurs.
Chaque seconde d’exposition renforce son influence néfaste sur les cibles qu’il choisit, les positions de pouvoir également (ce qui inclut le fait d’être manager et celui d’avoir une liaison). Après une phase de séduction (au sens large), il (ou elle) va développer son emprise (au sens large aussi), ce qui aura pour effet d’empêcher sa cible de lui échapper, de prendre la défense de son intérêt efficacement, voire de penser et de ressentir de manière cohérente. Au passage, la plupart du temps, leurs cibles sont les personnes les plus fortes et les plus productives, les “petits soleils”, rarement les plus faibles ou les moins utiles à l’entreprise.

Ensuite il détruira tout ce qu’il peut. Les formes de cette phase seront diverses. Le harcèlement et la destruction seront rarement visibles au premier coup d'oeil.
Comprenez ce point crucial : la durée de l’exposition augmente les dégâts qu’il cause. C'est mécanique.
On voit le plus souvent les dégâts de leurs actions les plus visibles. On ne voit pas toujours tout de suite ceux du Harcèlement (physique, sexuel ou moral). Mais les dégâts peuvent être encore plus insidieux, et peuvent venir rapidement. Les plus doués peuvent théoriquement amener un(e) collègue au suicide en quelques semaines.

Les manipulateurs narcissiques, leur version théoriquement la moins dangereuse, restent capable de tuer, même s’ils sont à mon sens généralement moins focalisés et moins déterminés, et que les morts seront plus accidentelles.

Il va tendre à rester invisible en tant que tel

Car en effet, ce n’est pas tatoué sur son front, pas visiblement en tout cas.
Le harcèlement par exemple ne se fera pas souvent visible du reste des collègues. L’emprise ne sera pas visible non plus.
Les plus intelligents ne laissent en pratique aucune trace, alors ne vous attendez pas à ce que vous puissiez obtenir une confirmation sans savoir quoi chercher.

Le silence n’empêchera pas les dommages

Si une partie du métier de RH consiste à éviter les conflits, ici s'abstenir d'agir pour neutraliser aura un impact néfaste. 

Humainement, mais aussi sur la bonne marche de l'entreprise, c'est mécanique. 

De l'archétype de la simple Cosette qui passe son temps à se plaindre au sociopathe capable de ruiner une nation, ils sont, de fait, toxiques. L'insensibilité théorique de l'entreprise à des éléments invisibles leur donne l'impunité pour lui nuire et pour nuire à ses collaborateurs. Le rôle des RH comme "nerf" et mécanisme de perception et de défense humaine est alors névralgique.

Certes, on peut agir sans forcément déclencher de conflit ouvert. Par contre on ne peut pas espérer que l'inaction face à un tel comportement de prédation ne sera pas sue, et que la responsabilité de l'employeur ne sera pas impliquée. Et encore tout cela n'est rien face aux nuisances sur un plan économique, qui rentrent généralement dans ces fameux coûts invisibles dont les RH sont souvent perçus comme souvent trop proches.

Vérifier le Diagnostic

Une fois que vous avez un doute en parlant avec votre pervers(e) narcissique ou un autre collaborateur, il devient opportun de vérifier si la personne est bien un danger de grande ampleur, et si vous avez raison de redouter ce qui va se passer.

Enquête par les dégâts

A moins d’une embauche récente, votre présumé danger narcissique a sans doute déjà nui dans le cadre de l'entreprise.

A vous de faire votre propre estimation, mais en moyenne selon leur dangerosité j'ai déjà constaté qu'ils tendent neutraliser entre 0.5 et 5 ETP juste dans leur zone d'influence proche, juste par leur impact humain, en plus de leur capacité de nuisance sur l'entreprise (donc selon les intérêts et actifs qui leurs sont exposés) et les pires peuvent aller jusqu'à couler votre entreprise. Les impacts de leurs moindres (manipulateurs) et de leurs pires versions (sociopathiques) sont moins évidents à caractériser jusqu'à des situations de ruptures couteuses, qui leur sont rarement attribuées.

Déjà, si une personne vous alerte, parce qu’elle est consciente du problème ou qu’elle vous remonte quelque chose qui vous met la puce à l’oreille, cette personne doit avoir un certain nombre de faits à vous remonter.
Les rapports de harcèlement (sexuel ou moral) sont un des meilleurs indices, mais les plus dangereux ne vous sont jamais remontés à ce stade.
Regardez dans son dossier RH ce qu’il a déjà potentiellement influencé : arrêts maladie de plus 15 jours proches de lui ou sous son autorité, rechutes, notamment les dépressions et burnouts identifiés, turnover réel dans son périmètre (incluant les stagiaires, intérimaires et prestataires), difficultés de caractère à répétition sont des indices (le harcèlement en tête).
Questionnez également. Recontactez les dernières personnes qui ont quitté l’entreprise dans sa proximité et essayez de déterminer si ces personnes sont sensibles au sujet du présumé danger ; demandez-leur comment ça se passe pour eux et comment ça se passait avec deux ou trois personnes que vous nommez, dont votre présumé danger. Prenez des cafés avec ceux qui sont encore dans son périmètre. Cherchez ceux qui ne sont pas bien ou qui sont en colère, ceux qui ont peur, se sentent coupables ou sont confus, en particulier s’ils ont été identifiés par le passé comme des “petits soleils” ou des collaborateurs au-dessus de la moyenne. La plupart des collaborateurs, pour de bonnes et de mauvaises raisons s’en tiendront à ne pas critiquer, mais vous pouvez aisément voir l’intensité de leurs émotions transparaître pour les sujets sur lesquels vous portez leur attention. Et si vous insistez et qu’ils ne veulent pas vous dire, demandez-leur où vous pourriez chercher s’ils ne disent rien.

Cela devrait faire disparaître l'illusion du "Mais c'est bon manager" ou "ses pratiques ont des résultats". Le prix une fois qu'il est visible est rédhibitoire, et des résultats similaires peuvent être atteints par des méthodes plus saines sans ces coûts invisibles.

Les 30 points

Isabelle Nazare Aga a proposé une liste de 30 points pour identifier un manipulateur narcissique. On la trouve assez facilement sur Internet. Le test est assez générique et peut donner quelques faux positifs, mais sa force réside dans le fait qu’il identifie au final une tendance/présomption qui a tendance à tomber juste – je recommande de le compléter avec une des autres grilles de lecture cependant. On considère en général qu’on a un manipulateur narcissique à partir de 14 points et un pervers narcissique à partir de 24. Il est assez rare que l’on trouve plus de 6 points de différence chez des personnes ayant une exposition similaire aux exactions d'un manipulateur potentiel (collaborateurs victimes, collègues victimes, collaborateurs témoins non victimes, proches familiaux…).
Si le pervers (ou la perverse) n'est pas dans votre cercle de travail habituel, parlez avec des gens qui sont dans le sien, et cochez.
Au passage, si des personnes différentes cochent des cases différentes en nombre réduit, cela confirme globalement, par contre cela veut généralement aussi dire que vous n’avez pas encore trouvé sa ou ses cibles actuelles.

Leurs 3 valeurs

Si vous analysez les grandes décisions prises par les manipulateurs narcissiques, vous trouverez que leurs priorités reposent sur ces trois éléments (l’ordre variant selon les personnages, leurs possibilités dans le contexte, et parfois selon l’air du temps) :

  • L’exercice d’un pouvoir, si possible destructeur.
  • L’image qu’ils veulent donner.
  • Leur satisfaction (de préférence dans l’instant)

Toutes leurs autres motivations sont factices, accidentelles, ou découlent de ces trois-là (sachant que leurs versions moindres ont à l'occasion quelques pourcentages d'humanité).
Fiez-vous à ce qu’ils font, pas à ce qu’ils disent ou prétendent faire.
Au passage, notez que du coup, que c’est là que vous pouvez mieux évaluer la situation en comprenant que vous n’avez pas intérêt à laisser dans le fonctionnement de votre entreprise quelqu’un qui préférera nuire s’il le peut et qui en réalité n’a absolument aucune motivation à servir l’entreprise (contrairement à ce qu’il peut vous faire croire, même comme cost killer c’est une bombe à retardement qui en prime engendre des coûts invisibles dantesques).
En analysant leurs actions et décisions, et vous demandant pourquoi, vous devriez voir des tendances émerger.
Par exemple, vous devriez voir très, très peu d’actions bienveillantes sans retombées en termes d’image.
C’est sans doute le plus important ici : leurs priorités vont systématiquement apparaître dans les échanges si vous jouez un peu en subtilité.

Gérer le manipulateur ou pervers confirmé

Aïe. Vos investigations l’ont confirmé, c’est bien un narcissique dangereux que vous avez ?
Pas de chance.
Les grands principes que je vous recommande :

1) Limiter sa capacité d’influence sur les gens et sur le fonctionnement de l’entreprise. Moins il a de pouvoir, moins il nuira.

2) Limiter son exposition à des victimes potentielles, ou à défaut limiter le total d’exposition (temps et capacité d’influence) de chaque victime potentielle. S’il a peu de victimes possibles, et qu’il a peu de temps et de moyens pour leur nuire, sa nuisance sera minimisée. Rajouter des gens en sa présence ne l’empêche pas forcément de nuire, mais peut le ralentir.

3) Le garder neutralisé lui permettra de faire moins de mal que de s’en débarrasser simplement dans un autre département ou sur le marché du travail. Etant donné que vous pouvez vous assurer de sa productivité, il n’est pas préjudiciable pour l’entreprise de le garder sous la main dans la mesure où il est vraiment neutralisé, et monter un dossier pour le licencier peut prendre du temps (le fait de savoir ne règle pas le besoin de preuves dont on a censément besoin dans un état de droit). Les narcissiques sont rarement d’une performance extrême sous l’angle de l’efficience globale (résultats par rapport aux opportunités et moyens utilisés), ce contrairement à l’angle de l’efficacité (résultats par rapport à des objectifs), ou leur manque d’empathie aurait tendance à les aider) pour lesquels les mauvais managers (ou narcissiques aussi) prétendent les préférer.

4) Récompensez sensiblement (visiblement si vous pouvez une fois que le problème est géré) les donneurs d’alerte. Evitez s’il s’agit de harcèlement sexuel que ce soit votre victime qui perde son travail.

Comment faire me direz-vous ?
Il y a beaucoup de variables qui peuvent changer la manière dont vous pouvez vous arranger à servir les grands principes que j’indique plus haut.

  • Tracez tout, par écrit. Par prudence, et pour une capacité d’influence éventuelle. Rapprochez-vous des instances de sûreté de l’entreprise pour savoir ce qui est possible en matière de surveillance.
  • Conseillez aux donneurs d’alerte de faire de même, juste méfiez-vous de ceux qui pourraient être sous emprise et/ou en dépendance émotionnelle (c’est regrettable mais leur loyauté est incontrôlée).
  • Identifiez et mettez les personnes en danger à l’abri. Si vous ne le faites pas dans l’intérêt de votre entreprise ni par humanisme, faites-le dans votre intérêt car la responsabilité pénale et civile de l’entreprise est en danger.
  • Si vous avez le pouvoir de neutraliser votre narcissique avéré(e), commencez à construire une solution qui réponde aux points 1-4 au mieux. Sinon trouvez qui a ce pouvoir, et essayez de savoir si vous pouvez mobiliser cette personne (ou ces personnes).
  • Pensez que même un procès non gagné contre un pervers narcissique va vraisemblablement sauver des vies à l’avenir, sans compter que l’impact sur une des rares choses qui lui importent, son image, va le déstabiliser et le rendre moins efficace pour longtemps, voire le décourager de certaines pratiques qui ont été épinglées, le poussant potentiellement à devenir moins ambitieux, moins dangereux, à ralentir sa nuisance.

En bref

Le danger est réel, il est grave, et il est valable pour tous ceux qui approchent un manipulateur ou un pervers narcissique, même si les effets ne sont pas visibles ou pas immédiatement.
Ces êtres sont une menace pour ceux qui les côtoient et pour votre entreprise.
Quand vous être confronté(e) à la possibilité qu’un de ces personnages nuise au sein de votre entreprise, il existe différentes manières de vérifier leur nature.
Ensuite il est préférable pour tous de le neutraliser, pas forcément ostensiblement.
C’est un sujet complexe, mais la connaissance pour gérer ces malfaisants et protéger vos troupes est aujourd’hui disponible, et quand on a une vue d’ensemble, les neutraliser n’est pas si difficile.
Et puis c’est généralement gratifiant de faire autant de bien dans l’entreprise humainement et en même temps aux résultats de l’entreprise qu’en neutralisant un de ces personnages maléfiques…


Mots Clés

  • Ressources Humaines
  • Management
  • Happiness Management / Risques Psychosociaux (RPS)

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